« Qui sous-estime ses origines, peut perdre son prénom mais pas son nom »
  DIAKHANOR
 

DIAKHANOR : A l’ombre du clocher de l’église, un bout de pays Sérère…

A l'heure où les premiers rayons de soleil pointent, derrière le rideau de la mangrove du côté Est, le village de Diakhanor achève de se réveiller de la courte nuit du mois de juillet. Nous avions été bien accueillis la veille dans ce village côtier de la bande de Palmarin. Alors que les hommes s'apprêtent à aller aux champs, les femmes préparent le petit-déjeuner. Quelques rares coups de pilons résonnent au fond des mortiers. Le mil sera réduit en farine pour faire le couscous, cette préparation si prisée en pays Sérère. Autres temps, autres mœurs, l'image des pileuses matinales tend d'ailleurs à s'estomper du décor villageois. Elle s'accroche aujourd'hui comme la nostalgie d'une époque rattrapée par les mutations qui s'opèrent lentement dans le village. La plupart des femmes vont maintenant faire moudre leur mil contenu par des calebasses dans la machine installée dans le magasin qui donne sur la place centrale du village.

Première surprise pour les citadins, il n'y a pas d'électricité dans le village. Le projet d'électrification pour lequel les autorités administratives se sont enfin engagées auprès du Conseil rural marque le pas. Il était prévu pour le mois d'août, et les populations espèrent que ce sera effectif avant la fin de l'année 2003. La piste qui sert de route a été construite en 1978, contribuant ainsi à désenclaver un peu plus la zone. L'électricité, elle, s'est toujours fait désirer, et les installations d'éclairage à l'énergie solaire se sont multiplié, en attendant cette électrification qui va placer tous les villages à trente kilomètres à la ronde dans une ère nouvelle. En effet, l'électrification n'est arrivée qu'à Samba Dia, à 30 kilomètres de là, porte d'entrée vers la bande effilée de terre constituant la Communauté Rurale de Palmarin. Joal est située à une vingtaine de kilomètres plus loin.

PAS DE TELEPHONE

Pour le moment, Diakhanor n’est pas raccordé au réseau téléphonique. Il faut se rendre du côté de la plage où sur des espaces dégagés pour capter avec un peu de chance une communication par téléphone portable. Dans le gros bourg de Gounoumane, le préposé au télécentre a bricolé un savant montage avec des batteries de véhicule pour faire marcher le téléphone. Et le système villageois fonctionne assez bien pour transmettre à Diakhanor les messages envoyés de Dakar. Ce village est réputé, selon les anciens, être "le village de l'origine ; il a précédé tous les autres villages, Ngallou, Ngueth et Gounoumane. Ils s'étirent en chapelet le long de la route de coquillage et de latérite qui fuit, cahoteuse, sur les trente kilomètres séparant Samba Dia de la Pointe géographique de Palmarin, matérialisée, aujourd'hui, par le village-campement de Djiffer. Nous avons été hébergé dans l'une des maisons " en dur " récemment construite dans le nouveau site du village de Diakhanor. L'histoire s'est répétée, si l'on en juge par la tradition orale transmise par les anciens. Elle raconte comment le site du village a été déplacé deux fois déjà, avant l'actuel emplacement de l'autre côté de la route qui s'étire vers Djiffer. L'avancée de la mer a été, en effet, une donnée constante au cours des décennies écoulées. Le village avait été simplement éloigné du rivage lors des précédentes avancées de la mer dont parlent les anciens. Le "raz-de-marée" qui balaya l'avant dernier site de Diakhanor, le 27 février 1987, a poussé les autorités territoriales à aménager le nouveau site à deux cents mètres du bord de mer. Elles ont pris la précaution de mettre la route entre la plage de sable fin et le nouveau Diakhanor. Aujourd'hui, le village a l'avantage d'avoir été aménagé dans un espace plus vaste avec un tracé moderne. De larges rues sablonneuses quadrillent de grandes concessions de 25 mètres de côté.

Sur ce qui était un terrain vague, naguère utilisé pour les cultures, a surgi une bourgade. Les maisons étaient construites dans un premier temps en paille et en bois.

Le " raz-de-marée " avait causé des dégâts matériels, anéanti les réserves de mil et entraîné un véritable sinistre, d'autant plus que les maisons en dur que de nombreuses familles avaient commencé à construire patiemment, au fils des années et des hivernages, avaient été perdues. Il fallait repartir de zéro. Le travail acharné et l'obstination propre au paysan ont repris le dessus.

En l'espace d'une décennie, ce qui n'était qu'une grosse bourgade de cases et de baraquements dressés dans l'urgence du déplacement brutal, laisse petit à petit la place à de nouvelles maisons coquettes. Les arbres ont grandi dans les cours et sur les espaces. La plupart des habitants ont fait pousser des cocotiers qui produisent des noix tout au long de l'année. On trouve des arbres fruitiers divers : mangues, citronniers, des badamiers et autres espèces d'arbres qui offrent à la fois leurs fruits et l'ombre de leur feuillage.

Des fleurs de lauriers roses apparaissent dans quelques concessions. Chez notre hôte, des bougainvilliers pendent sur le mur de clôture de la maison. Deux cocotiers sur le côté gauche portent des fruits à l'écorce jaune. À droite de l'entrée un puits. En face, une grande véranda est protégée par une moustiquaire. À l'intérieur, un alignement de chambres. Les toilettes à gauche, la cuisine à droite. Avec son portail en fer forgé, cette demeure a fière allure. Elle appartient à Michel Diouf, un ressortissant du village actuellement en France et la gérance de la maison est confiée à l'une de ses cousines.

LIGNEES MATERNELLES

Les habitants originaires du village ont des liens de parenté plus ou moins éloignés dans les lignées maternelles. Dans ce terroir Sérère de la Petite Côte, la filiation se fonde sur un système matrilinéaire. Pour retrouver les ascendants et le lien de parenté, on remonte la généalogie matrilinéaire.

En causant avec les anciens, nous apprenons que Diakhanor regroupe quelques-unes des principales lignées matrilinéaires du terroir de Palmarin, notamment les " Fouma ", " Yokam ", " Diakhano, " Yaale ", " Faata Faata " et les " Sooss ", entre autres. A priori, il n'y a aucune discrimination entre ces lignées, même si elle se distinguent bien. Une tradition survit encore avec quelques difficultés de nos jours : c'est celle des récitations qui énumèrent la lignée maternelle en remontant l'arbre généalogique jusqu'aux arrières grands-mères. Il est surtout question, dans ces récitations, de pouvoir s'identifier au groupe, notamment en situant les liens de parentés à partir de son propre nom et de celui de sa génitrice : " Michel, Coumba " (c’est-à-dire Michel fils de Coumba), " Coumba, Dirba ", " Dirba, Ndiakhé " etc… Au village, on apprend encore ces comptines aux enfants à 5 ans, dés qu'ils savent parler distinctement et cela permet à tous les coups de savoir à quelles branches de l'arbre généalogique se situe la parenté.

Passée la première nuit au village de Diakhanor, sous l'éclairage à l'énergie solaire, avec une invasion de petits insectes attirés par la lumière vive, il a fallu également se faire à l'idée que l'eau est polluée par la remontée du sel. En temps normal, il est possible de s'approvisionner en eau potable "dessalée" à l'unique robinet public placé à l'entrée du village, sur le bord de la route. Mais l'unité de dessalement qui traite l'eau du forage du campement de Djiffer tombe fréquemment en panne. C'était le cas lors de notre séjour. La cause, nous a-t-on expliqué, est que l'un des produits utilisés pour l'opération de dessalement est souvent en rupture de stock. Il faut, à chaque fois, passer la commande en France et s’armer de patience, pour au moins deux à trois semaines.

À défaut, il faut se rabattre sur les rares puits dont l'eau est encore douce ou alors acheter une eau potable vendue en bidon de 25 litres entre 100 et 150 francs par des marchands d'eau. On les voit, tôt le matin, circuler à travers le village où ils viennent s'approvisionner dans les puits d'eau douce.

Les ventes d'eau sont effectuées généralement en dehors du village, particulièrement du côté de Djiffer où la nappe phréatique est fortement polluée par le sel.

L'hivernage s'est bien installé. La pluie est tombée abondamment avant-hier pendant une bonne partie de la journée, nous apprend notre hôte. Les vasières aux alentours du village ressemblent à de petits marigots. On les contourne pour aller dans les champs de mil, situés du côté de la nouvelle réserve naturelle.

Des cultivateurs, surtout des hommes, la petite houe sur l'épaule et des enfants traînant la charrue sur ses roues, le socle relevé, se pressent un peu à travers les rues du village pour se rendre dans les champs aux alentours. Ils se dirigent vers les champs à l'Ouest du village, de l'autre côté de la vasière qui se remplit d'eau dès qu'il pleut. Certains ont quelques lopins de terre de l'autre côté de la route qui longe la côte en direction de Djiffer, deux kilomètres plus loin. Autour de l'église du village, déambulent quelques bœufs appartenant à des villageois de Diakhanor et confié à la garde d'un berger Peul domicilié dans le village. Le village est animé surtout lors des fêtes, lorsque les ressortissants descendus à la capitale reviennent séjourner parmi les siens.

Une petite animation est perceptible le dimanche après la messe, les paysans sacrifient alors au repos dominical et ne retournent aux champs que le mardi en général. Les trois boutiques du village sont alors un point de rencontres. De l’autre côté, le dépôt de boisson diffuse de la musique pour agrémenter le temps d'une maigre clientèle de jeunes gens, asseyant de savourer ce répit en pensant à l'avenir. En arrivant à Diakhanor par la route, on dépasse, à droite, l'ancien site du village d'où la mer s'est retirée depuis son intrusion dévastatrice. La route fait une courbe et s'enfonce dans une végétation luxuriante. Le grand bâtiment de l'église du village dédiée à Sainte Thérèse de Lisieux , imposant dans le décor, apparaît soudain avec sa peinture marron clair. Il fait face à la rue principale du village. L'église a été construite par Yves Ndiaye, un maître maçon ressortissant de Diakhanor.

La construction de cet édifice religieux a été possible grâce à une participation de la population de Diakhanor et des villages environnants, toutes confessions confondues (chrétiens et musulmans) qui avait réuni un capital de 3,5 millions de francs ajouté à l'aide de l'ONG Caritas. Consacrée le 12 mai 1990 par le Cardinal Hyacinthe Thiandoum (alors Archevêque de Dakar), l'église de Diakhanor est en quelque sorte le signe d'une prédominance de la religion catholique dans la localité. L'abbé Adrien Sarr, le curé de la paroisse de l'Immaculé conception à Gounoumane, nous confirme cette forte présence chrétienne dans la localité à l'exception de Ngallou et Djiffer villages où la grande activité de pêche a attiré de nombreux saisonniers qui se sont implantés au fils des années. On trouve d'ailleurs une seule grande mosquée ici. Elle se trouve justement à Ngallou, point de convergence des musulmans pour la prière du vendredi.

Assis sur des bancs faits de tronc d'arbre, quelques villageois attendent sur le bord de la route, le passage d'un car de transport. De nos jours, Diakhanor est de moins en moins enclavé, bénéficiant du formidable essor économique de Djiffer. En dehors des camions frigorifiques, qui font la navette pour amener les produits de la pêche vers Dakar, on peut compter, par jour, près de quatre départs de cars "Mercedes" vers Dakar et les villages côtiers de Joal à Toubab Dialaw en passant par Mbour, Sindia.

Ce développement économique a un impact certain sur la localité, même si Diakhanor a connu une forte émigration de ses fils au cours des dernières décennies. Le recensement effectué par les soins de Rogatien Diouf, le jeune chef de village, avance un effectif d'environ 500 personnes résidant à Diakhanor. Il a bénéficié de la confiance des gens du village qui lui ont demandé d’être le chef de village comme l'était son défunt oncle. Il reconnaît cependant que cette position sociale ne s'hérite pas. Même si Rogatien Diouf est reconnu officiellement par le Conseil rural, il soutient qu’il faudra désormais procéder à une élection. Une telle perspective a pourtant peu de chance de saper la cohésion de cette communauté. Comme la plupart des habitants du village, Rogatien, la quarantaine, est à la fois cultivateur et pêcheur. Il assume les tâches administratives assez modestes du reste puisqu'elles se limitent, en dehors de la représentation du village au Conseil rural, à un rôle de conciliateur en cas de conflits et surtout pour l'établissement des pièces d'état civil : actes de naissance et jugements supplétifs, entre autres. Rogatien nous confie qu'il a étudié jusqu'en classe de 3e secondaire. D'abord à l'école primaire à Gounoumane, avant d'aller à Joal à près de 45 km pour faire la 6e. Ensuite c’est le séjour à Dakar où il fréquente, pendant trois ans, le collège Saint Pierre à Grand-Dakar.

À l’instar de plus en plus de jeunes du village, il a opté pour le retour au terroir. Il ne s'en plaint pas aujourd'hui avec les belles perspectives que laissent entrevoir les projets de pêche florissants, sans compter le développement du tourisme qui promet des emplois et une diversification des activités économiques à Palmarin-Diakhanor.

Avec le développement des villages et, surtout, la cession des terres aux nouveaux promoteurs touristiques, les espaces de culture se réduisent progressivement. Cette situation est d'autant plus inquiétante que, sous l'effet de l'érosion marine et de la remontée de la nappe salée, la terre s'appauvrit et devient stérile.

On a l'impression, en regardant le décor champêtre avec le tapis vert des premières pousses de mil, que les cultivateurs disputent l'espace de culture aux vasières dont les cuvettes se remplissent et s'assèchent aussi vite sous le chaud soleil d'hivernage. Un villageois nous disait que certaines vasières fonctionnent comme des sables mouvants et qu'il est préférable de ne pas essayer de marcher dessus. L'eau venue des " bolongs " s'infiltre dans toutes les dépressions. Le phénomène, qui s'explique par les multiples ramifications du fleuve Saloum en son estuaire, fait craindre aussi qu'un jour l'eau trouve un autre passage et crée de nouveaux îlots, comme elle l'a fait plus loin avec la Pointe de Sangomar.

RETOUR AU TERROIR

Le village paraît désert dans la journée, quand les hommes, les femmes et les enfants se rendent aux champs. Quelques-uns vont dans les " bolongs " ou sur les rivages pour capturer quelques poissons pour améliorer l'ordinaire. Les femmes, restées dans les concessions, s'activent aux tâches domestiques et rejoignent en général les cultivateurs en milieu de journée avec le déjeuner. Elles restent souvent pour cultiver avant de revenir au village en fin de journée sur les coups de 18 h 30. A cette heure, le terrain de football commence à s'animer avec les jeunes qui jouent au football. À les regarder, on se demande où ils vont tirer autant d'énergie après une journée de labeur.

L'équipe du village est assez compétitive, puisqu'elle a été finaliste, en l'an 2000, pour les compétitions organisées au niveau de la Communauté Rurale, elle est a remporté la victoire finale en 2001. Elle n'est arrivée qu'aux quarts de finale en 2002. Les activités récréatives sont fortement marquées par le programme annuel de lutte traditionnelle qui se déroule en avril, après la fête de Pâques.

Parmi les projets qu'ils poursuivent avec des partenaires comme ceux de l’association française "La petite graine", les jeunes de Diakhanor envisagent de développer des activités de pêche. Ils ont également introduit un projet de construction d'une "Maison des Jeunes" équipée en audiovisuel et disposant d’une bibliothèque.

Au nombre des problèmes pressant, il y a aussi la santé. La seule case de Santé manque cruellement de médicaments, au grand désarroi du bénévole qui la gère. Il faut aller à Gounoumane distant de trois kilomètres, pour se faire soigner chez les religieuses. Mais les villageois sont conscients qu'il est aussi question d'organisation. Les premières années d'installation ont été surtout réservées à la survie quotidienne et à la construction des maisons sur le nouveau site du village. Avec le temps et le développement des activités, la confiance est revenue. Loin d'être en reste dans cette renaissance de Diakhanor, les femmes sont des actrices de premier plan. Trop occupées par les travaux champêtres, elles ont temporairement suspendu leurs activités de ramassage d'huîtres et de coquillage : " en ce moment, seulement une commande expresse et significative peut nous inciter à aller chercher ces produits de mer ", nous confie Rosalie Thioro Faye, la présidente du GIE " Dioubo " des femmes de Palmarin-Diakhanor.

Sous le contrôle de la trésorière Henriette Faye, Rosalie explique que le ramassage des huîtres, des petits mollusques et autres cymbium leur permet d’avoir des revenus substantiels pour le GIE, même si le travail peut être très harassant. A 900 francs le kilo, de petits mollusques, il faut, en effet, beaucoup d'énergie pour remplir une bassine qui ne donnera guère plus de 2 kilogrammes une fois les coquillages enlevés. Leur méthode, c'est de travailler en groupe. C'est ainsi qu'elles parviennent à réaliser des recettes de 10 à 15.000 francs en une journée de ramassage.

Les bénéfices peuvent être plus intéressants avec les huîtres dont la " livre " est vendue à 750 francs de novembre à décembre. Avec les commandes des campements touristiques et des hôtels, le chiffre d'affaires est encourageant pour ces femmes. Celles-ci montent à bord des pirogues et pénètrent dans la mangrove pour arracher les huîtres fixées sur les branchages. Une expédition très éprouvante physiquement, puisqu'elles ont parfois de l'eau jusqu’à la ceinture, sans compter les coquillages tranchants qui blessent immanquablement leurs mains.

La survie et la recherche d'un mieux-être est cependant leur seule motivation. Les femmes de Diakhanor avaient reçu, en 1992, un moulin à mil au titre des dons offert à l’époque par la présidente Elizabeth Diouf. Ces femmes se sont si bien organisées avec des prestations payantes (25 francs pour moudre le kilo de mil) qu'elles ont pu acheter avec les bénéfices une seconde machine qui a coûté 800.000 francs, avance Rosalie Faye, une femme à poigne, qui conduit le groupe de 54 femmes membres du GIE " Dioubo ". Comme toutes les femmes du monde, Rosalie et ses voisines portent en leur sein l'avenir et l'espoir de toute une communauté qui a choisi, après la terrible épreuve de 1987, de se tourner résolument vers un futur plus radieux.

 

Un reportage de JEAN PIRES - Le Soleil

(Article publié dans l'édition du Mercredi 17 Septembre 2003)

  

 
 
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