Politique ! Nous nous excusons auprès de ceux d'entre vous que l'évocation de ce mot rend hystériques ou névrosés parce que désabusés des comportements éhontés et insolents d'une légion d'hommes politiques de ce pays qui l'ont transformée en abreuvoir, en mangeoire, en rente, donnant ainsi raison à ceux qui pensent que la politique est plus une affaire de médiocres, de désoeuvrés que de gens vertueux et probes. Il faut dire que ces derniers sont plus préoccupés à faire reculer les limites de l'ignorance, de la pauvreté, des déterminismes biologiques, sociologiques, culturels qu'à les raffermir pour assouvir leur instinct et leur boulimie de domination.
C'est bien ce qui faisait dire à Voltaire, au sujet du règne de Louis XIV, que 'la politique a sa source dans la perversité plus que dans la grandeur de l'esprit humain'. Les propos d'Abdou Latif Coulibaly qui, diagnostiquant les Institutions sénégalaises, s'est arrêté sur le choix des députés à l'Assemblée nationale, nous édifient davantage, notamment en cette période préélectorale : 'Ce ne sont pas nécessairement les plus compétents pour faire un travail législatif qui sont appointés pour être députés à l'Assemblée nationale. Ce ne sont pas nécessairement les plus méritants qui sont appointés pour figurer sur la liste, mais simplement les courtisans les plus en vue, ou supposés être des porteurs de voix dans les départements, dans les régions, et qui sont les intermédiaires entre les partis politiques et les citoyens électeurs.'
Après moult reports, les élections locales pourraient avoir lieu le 22 mars 2009. L'on est bien obligé de conjuguer au conditionnel eu égard à tout ce que le passé nous a offert en spectacles affligeants : reports, surenchères politiques, sempiternels débats autour du fichier électoral qui, dans un Etat démocratique, ne peut être l'objet de polémique. Hélas ! le Sénégal après avoir rejoint le club des républiques bananières, se dispute à présent le leadership avec le Zimbabwe, le Soudan, la Somalie, le Tchad
Quoi qu'il en soit, que les élections aient lieu ou non, ce qui n'aurait rien de nouveau sous le soleil, tant on est 'complicement' habitués à ces pirouettes de saltimbanques sans talent, elles ont déjà confisqué l'espace public et médiatique. Partout, l'heure est de nouveau au bilan. Partout, il est toujours maigre. 'Une politique, disait Charles Maurras, se juge par ses résultats' ; et les résultats, les faits sont têtus : on ne peut les nier. A quelque échelle où l'on se situe dans l'analyse (sociale, économique, politique, environnementale, etc.), le règne d'Abdoulaye Wade et de ses affidés a rapproché le Sénégal et les Sénégalais de la préhistoire. Si donc partout c'est la même rengaine, il y a donc lieu de s'interroger sur les racines profondes du mal qui gangrène le pays et que certains ont fini d'assimiler à un fléau, à une malédiction.
Les résultats de la gestion de la communauté rurale de Palmarin, qui ne fait pas exception à la règle générale, sont incontestablement et sans commune mesure pitoyables. J'aurais bien voulu m'attarder longuement sur les réalisations de l'administration locale sortante et m'enorgueillir, mais ma mémoire n'a glané que quelques épis : l'installation sélective et sectorielle de l'électricité, la protection de la flore, les stades-piscines et leurs corollaires. Pour les ouvrages restants, il faut se munir d'une loupe et scruter minutieusement et patiemment. Ces réalisations, comparables à une goutte d'eau dans l'océan, ont plutôt distrait et anesthésié les Palmarinois.
En revanche, ces derniers, qu'on aurait tort de prendre pour des demeurés, bien que ensommeillés encore, ont soigneusement archivé les innombrables et innommables dérives : la poursuite effrénée de la braderie des terres, la gestion gabégique des ressources financières et économiques, l'érection de la corruption et du népotisme en mode de gouvernance, l'usure qualitative et quantitative du niveau d'éducation et d'instruction des jeunes, l'accroissement significatif de la pauvreté, le manque de perspectives pour les jeunes qui trouvent refuge dans la drogue, l'alcool ou le vol, la mort programmée de l'agriculture au profit de la pêche et du tourisme, l'érosion accélérée des relations intervillageoises et l'exacerbation des passions, des tensions, des rivalités intracommunautaires, notamment à travers le mouvement navétane qui a transformé les stades-piscines et les stades-brousse en arènes de gladiateurs, en jungle, etc. Toutes choses qui s'observent à l'oeil nu. Ainsi, il est permis de se poser des questions sur le patriotisme, le ruralisme de ceux qui ont précipité Palmarin dans les profondeurs abyssales, parce que plus soucieux des pots de vin que leur rapportent leurs braconnages, leurs ignominies de toutes sortes, que des intérêts et de l'avenir du village.
Avec le régime déguerpissant, Palmarin a inexorablement accéléré sa cadence dans sa descente aux enfers dont le dernier virage a été amorcé depuis une quinzaine d'années. Comme les Africains à la conférence de Berlin en 1885 qui a décidé du partage de l'Afrique, les Palmarinois assistent encore impuissants et approbateurs à une balkanisation de Palmarin qui est en passe de devenir une colonie cosmopolite. Bientôt 'nous n'aurons plus, dans quelques années, un pauvre bout de lande où l'imagination puisse poser son pied pour rêver', pour reprendre le cri d'alarme de Barbey d'Aurevilly face aux graves menaces de destruction qui pèsent sur l'environnement et le développement durable.
Bientôt, il n'y restera plus un seul espace arable ou pâturable. A-t-on seulement réfléchi à l'héritage que nous laisserons aux générations futures ? Pourquoi cette inconscience ou ce mépris absolu pour le développement durable qui doit autant se préoccuper du bien-être des générations présentes que de celles à avenir ? Nous devons laisser Palmarin meilleur dont nous en avons hérité de nos dignes ancêtres.
Cela étant, je veux qu'on me comprenne bien et qu'on ne m'interprète pas à tort. Le sens de mon propos n'est pas de m'attaquer à la diversité culturelle dont je demeure un adepte zélé et qui, en tant que richesse inestimable, peut être une occasion pour une vraie mutualisation des valeurs culturelles et des acquis économiques entre les autochtones et les étrangers, et partant, jeter les nouvelles bases d'un développement plural et harmonieux de Palmarin. A cet effet, il convient de saluer la coopération plurielle existante entre les Palmarinois et des opérateurs touristiques. Il faut cependant créer une vraie sphère de concertation et de dialogue. Je m'insurge plutôt contre cette implantation anarchique et sauvage de colonies qui ne profitera ni aux Palmarinois ni aux opérateurs socioéconomiques.
Mais, ce qui est particulièrement sidérant dans tout cela, c'est le silence des intellectuels et des forces vives de la communauté rurale qui semblent ne pas avoir pris la pleine mesure du drame dont ils sont témoins. Ceux-là qui devraient sauver de la perdition ce village envers lequel ils resteront des débiteurs insolvables car, les ayant vu naître, grandir et réussir, et qui devraient le lui rendre ne serait-ce qu'en se dressant intrépidement face à ces dérives, ont ravalé leur langue. Mieux, en spectateurs d'une scène de tauromachie, ils assistent et applaudissent, à tout rond, au jeu de passes de 'capote' du matador et des 'peones', puis s'émeuvent des piques de banderilles des picadors, pour enfin s'affliger devant la mort du taureau.
Etant donné que la tauromachie finit souvent par la mort du taureau, la 'palmarimachie' à laquelle des élus locaux se sont joyeusement livrés ces dernières années, a fait aujourd'hui de Palmarin un village anémié, exsangue. Un intellectuel, non engagé pour une cause qui contribue au progrès des siens ou de l'humanité, quelle qu'elle soit, n'honore pas son rang, et par conséquent, ne mérite pas cette appellation. L'intellectuel, le cadre sont engagés. André Malraux n'en pensait pas moins : 'Je sais maintenant qu'un intellectuel n'est pas seulement celui à qui les livres sont nécessaires, mais tout homme dont une idée, si élémentaire soit-elle, engage et ordonne la vie. Ceux qui m'entourent, eux, vivent au jour le jour depuis des millénaires'.
Ceux de Palmarin, entre autres, doivent savoir qu'ils sont, aujourd'hui, à la croisée des chemins : soit ils choisissent l'Engagement et sauvent Palmarin, soit le non engagement et l'assassinent. Dans ce dernier cas de figure, ils rendront compte devant l'histoire de leur tiédeur, de leur mutité coupable dans le démantèlement de leur patrimoine géographique et socioculturel. Les exemples à méditer sont abondants.
Les associations et organisations d'obédience culturelle, sportive, religieuse qui devraient venir à la rescousse sont sans ressort. Leurs membres, les dirigeants en tête sont aux anges devant les espèces sonnantes et trébuchantes, les jeux de maillots, etc., ignorant que toutes ces prétendues largesses sont le fruit de leur dur labeur qu'on leur retourne en aumône. Quelle structure, de quelque obédience dont elle relève (Asc, Gie, Adp, Corepa, ou le Comité catholique des ressortissants de Palmarin) a été un éveilleur de conscience, une sentinelle face aux dérives de toutes sortes dont nous avons tous été témoins ?
Au demeurant, je pense que les élections locales pour les Palmarinois et les Sénégalais, sont moins pour élire des mandataires sans foi ni loi, des geôliers, des tortionnaires et des bourreaux qu'un rendez-vous pour chacun avec sa conscience et la conscience collective. L'heure est venue, pour chaque Palmarinois et chaque pour Sénégalais, de faire un examen de conscience sans complaisance sur son mode de désignation des élus locaux ou nationaux. Sans doute verra-t-il puis reconnaîtra-t-il, dans ses critères de choix, avoir peu ou prou offensé la communauté en choisissant les dirigeants selon des considérations géographiques, en votant pour ceux qui lui sont plus proches par le village, l'ethnie, la religion, la famille, le quartier assassinant froidement ainsi l'intérêt général au profit d'exigences et d'avantages crypto personnels. Dans cet exercice cathartique, sans doute verra-t-il puis reconnaîtra-t-il également n'avoir pas refusé la compromission, les pots de vin, d'avoir détourné ou mal géré les deniers publics, d'avoir refusé de s'engager alors que le village, le département, la région ou le pays avaient besoin de ses compétences, de son expertise, de ses conseils, de son dynamisme, de sa jeunesse ou de sa vieillesse, de son Engagement
Pierre Birame NDOUR, 14 Mars 2009