(CROISSANCE AFRIQUE)-Je ne suis pas dans le secret des agences occidentales de renseignements, mais je suis persuadé que leurs états-majors ont aujourd’hui un solide casse-tête à résoudre en l’occurrence le cas Ousmane Sonko au Sénégal.
Ce personnage iconoclaste, adulé par la jeunesse sénégalaise (plus de 50% de la population a moins de 18 ans) et au discours de rupture tranchant et inédit, suscite un engouement et des espoirs tels que beaucoup d’observateurs parient sur son accession imminente à la magistrature suprême.
Son arrivée au pouvoir pourrait être le début d’une relecture de contrats miniers gaziers et pétroliers mal négociés depuis les indépendances, d’une affirmation plus forte de l’identité culturelle sénégalaise (il a posé les premiers acquis en tant que maire de Zinguinchor en rebaptisant les rues à consonance colonialiste) et bien entendu de l’ouverture d’une véritable ère de reddition des comptes.
Tout, dans l’évolution des facteurs politiques, semble indiquer une osmose entre les sénégalais et lui et les résultats des dernières élections législatives laissent entrevoir cette possible trajectoire. Pour rappel 83 sièges sur 165 reviennent à des personnalités opposées au régime actuel.
Quelle pourrait être la réaction des états-majors occidentaux face à une équation aussi complexe ? Pour un pays comme la France, l’enjeu est de conserver des relations privilégiées avec l’un des rares pays stables et démocratiques de l’espace UEMOA afin de renforcer ses parts de marchés, contrecarrer une éventuelle sortie du Franc CFA et maintenir une présence militaire dans le pays et ce dans un contexte d’insécurité permanente dans le Sahel. Il s’agit aussi de tout faire afin de ne pas pousser le Sénégal dans la sphère d’influence de la Russie. Au regard du poids symbolique que représente ce pays, perceptible à travers sa position géographique et géopolitique privilégiée, ses avancées démocratiques en dehors des coups d’États, son charisme diplomatique reconnu, il n’est pas exclu que les chancelleries occidentales cherchent actuellement des stratégies capables de maintenir le Sénégal dans leur giron.
Le premier scénario, bien entendu non conventionnel, serait que certains intérêts capitalistes voyant leurs intérêts potentiellement menacés cherchent à neutraliser un candidat gênant, par le discrédit, la diabolisation, des ennuis judiciaires, voire une élimination physique. Je pense que l’entourage de monsieur Sonko devrait faire très attention á ce risque.
Le deuxième scénario pourrait consister, paradoxalement, à composer avec l’intéressé en lui donnant des gages de pseudo soutien. Les puissances occidentales, n’hésitent souvent pas à effectuer des revirements spectaculaires lorsque leurs intérêts sont menacés. Cette stratégie pourrait passer par la CEDEAO avec un lobbying discret auprès de son Président en exercice, le Bissau-guinéen monsieur Umaro Sissoco Embaló ou en passant par un Chef d’Etat comme Alassane Ouattara de Côte d’Ivoire. Monsieur Sonko devrait faire attention et se rappeler que cette tactique avait au moment des printemps arabes été usitée par les chancelleries occidentales pour mettre en pôle position puis discréditer les pouvoirs « islamistes » régnants. En aucun cas, son entourage ne devrait s’accommoder de telles négociations discrètes. Il doit maintenir le cap sur la défense intransigeante des intérêts supérieurs des Sénégalais et au-delà créer des déclics salvateurs dans les autres pays africains. Il y va des changements qualitatifs tant attendus sur le continent.
Le troisième scénario pourrait être de manœuvrer en vue de promouvoir un ticket Ousmane Sonko-khalifa Sall-Karim Wade capable d’une part d’édulcorer la ligne politique et revendicative du premier et d’autre part de renforcer le climat de stabilité du pays. Du reste, l’analyse approfondie de la politique africaine de la France indique que cette orientation semble être une nouvelle donne en cours d’expérimentation en Côte d’Ivoire avec les retrouvailles Ouattara, Bédié, et Gbagbo. Les Américains pourraient être mis à contribution dans ce scénario. Monsieur Sonko semble aujourd’hui être l’unique candidat de l’opposition au Sénégal capable d’obtenir à lui tout seul la majorité du vote des Sénégalais sans aucune alliance. En effet, le fait qu il n’ait jamais participé aux différents gouvernements que le pays a connus depuis les indépendances et qu’il tienne un discours de rupture lui donne une aura certaine auprès du peuple sénégalais.
Enfin un quatrième scenario à la tchadienne pourrait consister en ce que les intérêts étrangers cherchent, dans le cadre d’une stratégie de Tout Sauf Sonko (TSS) à imposer une équipe dirigeante de manière non démocratique. Y compris en usant d’obstruction dans les processus électoraux. Mais ce serait sans compter sur la maturité du peuple Sénégalais .
Magaye GAYE
Economiste International
Professeur à l’institut Supérieur de Gestion de Paris |