Connu surtout pour son franc-parler, son esprit d’ouverture et sa maîtrise de la langue arabe, Abbé Jacques Seck, prêtre depuis décembre 1969, est considéré comme l’un des pionniers du dialogue islamo-chrétien dans notre pays. Admis à la retraite en 2013, cet octogénaire, originaire du village de Samsam reste aujourd’hui plus que jamais le symbole d’un syncrétisme religieux à la sauce sénégalaise où référents chrétiens et musulmans cohabitent harmonieusement.
Il a fallu trois coups de fil dans la journée pour fixer le rendez-vous. Dans le dernier appel téléphonique, vers les coups de midi, une voix, d’un débit rapide, mais claire répond au bout du fil : « Je suis à votre disposition. On se rencontre demain à midi », lance Abbé Jacques Seck, celui que l’on surnomme à la fois Abbé, Imam et prêtre. Le lendemain, jour du rendez-vous, l’Abbé se présente à la Cathédrale vêtu d’une soutane, une chaîne jaunâtre autour du cou, le bonnet de couleur noir-blanc si caractéristique bien posé sur la tête, cachant mal ses cheveux poivre sels. La démarche posée, nous prenons la direction de la Cathédrale où doit se dérouler l’entretien. A l’entrée de ce lieu de culte, l’Abbé passe un bonjour aux femmes gérantes d’étales et vendeuses d’objets artistiques et autres gadgets (des croix, des statuettes). Dans la cathédrale, une fois la mise en place faite, il enchaine : « J’avais indiqué récemment dans un journal de la place que je n’accorderais plus d’interviews à la presse, il y a d’autres mieux outillés que moi pour répondre aux sollicitations des journalistes », un brin de sourire au coin des lèvres. Histoire de briser la glace. Agé de 80 ans, ce natif du village de Samsam, situé dans le Palmarin, se présente comme le deuxième doyen des prêtres de l’archidiocèse de Dakar après Léon Diouf, son aîné de quelques mois. A la retraite depuis 2013, l’abbé continue une vie active notamment dans les médias et fréquente la paroisse de Keur Massar, plus grande que celle de Rufisque. « Je continue à aider les autres prêtres, mais je suis officiellement à la retraite, pas à cause d’une quelconque maladie mais j’ai atteint la limite d’âge », tient-il à préciser, remerciant le Seigneur.
Cette précision faite, le prélat se met, sans tarder, à dérouler le film de sa riche existence. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a connu une instruction sur le tard. En effet, lorsqu’il entre à l’école de Palmarin Guédji, en 1949, il avait déjà 15 ans. « Certains élèves que je rencontrais dans la classe de David Sarr avaient dix ans de moins que moi », se souvient-il. En 1950, puisque l’école de Palmarin ne faisait qu’alphabétiser, son père l’envoie à Joal sous la direction du père Boyer, qui s’occupait de la scolarisation, laissant aux autres prêtres le soin d’alphabétiser. Là-bas, « c’était plus sérieux puisqu’il y avait des élèves qui venaient avec leur certificat d’étude». Quatre ans plus tard, il obtient le Certificat de fin d’études élémentaires et rejoint l’école normale, à Thiès où il passera quatre années avant de sortir comme instituteur. Mais il ne restera que deux ans dans l’enseignement car ayant changé de vocation. « Je voulais être député comme Léopold Sédar Senghor ou Blaise Diagne, mes modèles durant mes années d’études », dit-il. Son destin bascule lorsqu’il rencontre le Père le Neveu, alors qu’il était en classe de 5ème à l’Ecole normale de Thiès. « Avec mon ami Laurent Gomis, nous avons un jour décidé d’aller écouter de la musique religieuse chez lui. A notre arrivée, le Père Neveu nous adresse la parole en ces termes : ‘’Jacques et Laurent, ça ne vous dit rien d’être prêtres ? ». Surpris par cette proposition, d’autant plus que son objectif était d’être député, Jacques Seck décline : « J’ai dit au Père que c’était trop tard ». Mais c’était sans compter sur l’obstination de M. Boyer. A leur prochaine visite, quinze jours plus tard, le Père leur dit : « Vous êtes dans une école catholique, on va vous faire un contrat. On va vous former jusqu’en classe de 3ème. Après le brevet, vous allez enseigner deux ans pour rembourser, avec la moitié de votre salaire, vos frais de formation ». Après deux ans dans l’enseignement, Jacques Seck intègre le séminaire de Hann Maristes, à Dakar, où il obtient le bac, avant d’aller au grand séminaire de Sébikotane, en 1964. « J’ai passé 7 ans là-bas au bout desquels j’ai été auréolé prêtre, le 27 décembre 1969 », se souvient-il, avec fierté.
En 1971, avec l’entremise du Cardinal Thiandoum, archevêque de Dakar, Jacques Seck obtient l’occasion d’aller poursuivre, pendant quatre ans, à Rome, en Italie, des études de théologie. C’est durant cette période qu’il a appris l’arabe auprès du Père Blanc qui tenait une école à Rome où on enseignait l’histoire du Coran, l’islamologie et la langue arabe. Durant les vacances, il partait en Tunisie pour pratiquer la langue et découvrir l’islam dans ses fondamentaux. « J’ai beaucoup fréquenté les marabouts qui m’ont beaucoup apprécié et la moitié de ma famille est musulmane. C’est une histoire de prédisposition. Mais pour dialoguer avec quelqu’un, il faut d’abord bien le connaître », explique l’Abbé Jacques Seck. Son rêve de poursuivre ses études a connu un brusque coup d’arrêt après le crash d’un petit avion à hauteur du monastère de Keur Moussa, durant lequel trois prêtres de la Cathédrale de Dakar, qui formaient l’équipe de la cathédrale, ainsi que le pilote français avaient péri. « C’est après cet accident que je suis rentré au Sénégal pour être curé de la Cathédrale et vicaire général », dit-il. Un travail usant. Après douze ans de services, il est affecté à Joal, à sa demande, pour exercer les fonctions de curé, vicaire épiscopal pour la zone rurale pendant six ans. Revenu à Dakar, il fonde les paroisses de Mbao, dans la banlieue de Dakar, et de Keur Massar. Réputé pour sa maîtrise du Coran et de la langue arabe, l’abbé Jacques Seck n’hésite pas à faire usage de versets coraniques pour illustrer ses arguments lors d’un débat. Cet attachement à la religion musulmane, il le doit, d’une part, à son séjour à Rome et en Tunisie et, d’autre part, à ses origines : la moitié de sa famille est musulmane. Le fondateur du village de Samsam, son oncle Abdoulaye Ndour, était le premier musulman de tous les villages de Palmarin dans les années 1800. « Et depuis lors, dans le village de Samsam, il y a autant de musulmans que de chrétiens. C’est comme ça que nous voulons le Sénégal. Musulmans et chrétiens appartenant à une même famille qui se respectent et s’apprécient. Ce n’est pas la religion qui compte, mais c’est le cœur », soutient-il. Toujours présent dans les rencontres sur le dialogue islamo-chretien, Abbé Jacques Seck se montre convaincu que la religion ne doit pas être une contrainte pour impulser une cohabitation harmonieuses entre les populations. Il est essentiel, à son avis, pour le musulman comme pour le chrétien, de maîtriser les principes qui régissent la religion de chacun. Il aime à raconter cette anecdote « Quand on accueillait le Pape Jean Paul 2 à la chambre de commerce, lors de sa visite au Sénégal en 1992, on m’avait demandé de faire un témoignage. J’ai cité un texte coranique et le Pape de demander : ‘’Est-ce que celui-là est un prêtre catholique’’, plongeant l’assistance dans un fou rire. Sur place, le Cardinal Thiandoum prend ma défense : ‘’Oui, c’est moi qui l’avais envoyé à Rome où il a appris le Coran. Ce que je souhaitais, c’est que les musulmans aillent étudier la théologie catholique’’ ». Toute une philosophie. |